Swan Dive

Artist: Marisa Cornejo
Documentation: Indoors
Place: Portbou, Catalunya:
Cementiri municipal / Memorial Walter Benjamin / Badia de Portbou

Date: August 10, 2021

Le mouvement du Cygne est celui d’un berceau qui se balance entre la modernité et l’antiquité

Walter Benjamin


L’action se déroule en quatre phases: montée au Cementiri municipal, larmes sur la tombe de Walter Benjamin, descente dans le Memorial Walter Benjamin de Dani Karavan, immersion dans la badia de Portbou. Elle peut être interprétée comme une lecture de Le cygne de Baudelaire, où M.C. incarnerait le double Andromaque / cygne, une bouteille de Vichy Catalan représenterait le fleuve Simoïs et les larmes, et le cimetierre de Portbou la Place du Carrousel.
Elle marque en tout cas l’instant et le lieu d’une réminiscence où la dilatation temporelle – du temps mythique des larmes versées dans la Méditerranée au temps historique de la guerre où Walter Benjamin trouva la mort à cet endroit – embrasse le cours entier des catastrophes humaines, par la plongée dans un immense chagrin de veuve versant «ses larmes dans les eaux d’un fleuve qui n’est plus le Simoïs des temps heureux, mais bien un lieu d’exil[1]».

Remerciements à Franca Zanelli Quarantini pour sa lecture éclairante de Le Cygne de Baudelaire qui a servi de texte à l’action.


1. Franca Zanelli Quarantini, « “Andromaque” au Carrousel. Une lecture de Le Cygne », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 2 | 2012, URL : http://journals.openedition.org/rief/867

Le cygne
à Victor Hugo.

I
Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L’immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville
Change plus vite, hélas ! que le coeur d’un mortel) ;

Je ne vois qu’en esprit, tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,
Les herbes, les gros blocs verdis par l’eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.

Là s’étalait jadis une ménagerie ;
Là je vis, un matin, à l’heure où sous les cieux
Froids et clairs le travail s’éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l’air silencieux,

Un cygne qui s’était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d’un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal :
 » Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? « 
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,

Vers le ciel quelquefois, comme l’homme d’Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Comme s’il adressait des reproches à Dieu !

II

Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m’opprime :
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exilés, ridicule et sublime,
Et rongé d’un, désir sans trêve ! et puis à vous,

Andromaque, des bras d’un grand époux tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d’un tombeau vide en extase courbée ;
Veuve d’Hector, hélas ! et femme d’Hélénus !

Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l’oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard ;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais ! à ceux qui s’abreuvent de pleurs
Et tètent la douleur comme une bonne louve !
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !

Ainsi dans la forêt où mon esprit s’exile
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor !
Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus !… à bien d’autres encor !